V pour Varda, F pour Fidel, S pour Sucre, RE pour la révolution !

Plus d’une dizaine de mois après La Jetée (1962) et un an avant la sortie des Parapluies de Cherbourg (1964), Agnès Varda, jeune photographe et cinéaste de la Nouvelle vague, réalise Salut les Cubains (1963), un documentaire de 30 minutes sur la Révolution caribéenne. Film à la fois photographique et musical, ce moyen-métrage est en même temps une synthèse improbable entre les recherches formelles d’un Chris Marker et celles d’un Jacques Demy, deux hommes très proches alors de la réalisatrice. C’est cette aventure artistique et journalistique que permet de décrypter l’exposition Varda/ Cuba montée dans la Galerie de Photographie du Centre Pompidou qui présente, en plus du film, les photographies qui ont servi à sa réalisation.

Monté presque exclusivement à partir de prises de vue photographiques, le film est bien dans la lignée de La Jetée. Cadencé au rythme de la bande son, mélange de propos lus et de musiques dansées, il est aussi sous une certaine influence de Jacques Demy. Imbrication de commentaires littéraires, de reportages documentaires et de phrasés musicaux, le film reste tout de même et incontestablement vardien, grâce entre autre à ce ton mi-naïf, mi-ironique avec lequel elle défait et, parfois aussi, refait les clichés. Portrait d’une société en pleine vitalité, tournée vers l’utopie politique, avant que le pays ne s’enfonce dans la stagnation et la répression, le film d’Agnès Varda transmet cette vitalité, grâce à un montage cadencé et commentaire espiègle et enjoué, qui ne s’aventure pas à jeter de l’ombre sur les temps à venir.

C’est cette symbiose de prodige technique et formel (montage serré de séquences photographiques synchronisées avec les rythmes rapides) et d’efficacité visuelle (cadrages spontanés à la composition dynamique) que la Galerie de Photographie réussie à montrer dans une scénographique minimaliste pertinente. Elle s’offre en synergie avec le rythme du film et la forme longitudinale de la salle. Les tirages se succèdent linéairement selon un agencement en terrasse et mènent vers le fond de la pièce où est projeté le film. Finis les maries-louises et les cadres noirs, le support apparaît, enfin, entier, dans toute la force de son format. Ici et là des inscriptions sur la marge blanche, « F » pour Fidel, « S » pour Sucre, « RE » pour l’iconographie de la révolution, confie Varda pour décrypter. Et si l’on ne connaissait pas la fin, on serait même tenter de crier, haut et fort : « Viva la revolucion » !

par Mireille Besnard en décembre 2015