Exode, autour du dernier ouvrage d’Ezra Nahmad



Entering the city borders, reaching the boat, est une autoédition diffusée par le Plac’Art

La trame émerge et vient rayer l’image. Plus loin, le pixel la malmène ou bien encore la ronge. Exagérés, les effets du retoucheur d’images font surface et ondulent la matière pixellique. En double-page certains clichés se voient concurrencés par un ordonnancement de petits carrés numériques évoquant le flash-code. Toutes sortes d’artefacts finissent par entamer ces images-documents capturés à l’écran ; des images d’images puisées dans les dizaines de vidéos qui ont défilé cet été. Même dans le titre - une sorte de broken english -, les mots sont comme écorchés. Ainsi, Entering the city borders, reaching the boat, ouvrage photographique d’Ezra Nahmad, remet en scène les milliers de personnes qui ont tenté et tentent encore de rejoindre le continent européen en traversant la mer.

Malmenant depuis sa console ces documents d’actualités, Ezra cherche bien autre chose qu’une esthétisation d’images sensationnelles. Il essaye de leur redonner un sens, peut-être même de leur inoculer du mouvement, celui que le reportage formaté, la mise en boucle, la diffusion continue, le commentaire et le montage interrompent. De ces « images pauvres » comme il les appelle, il parvient à faire émerger des silhouettes, des corps et des visages. Des histoires individuelles affleurent presque. A force d’arrêt sur image, de recadrage et d’impression plein cadre (comme un démontage), il parvient à se rapprocher, à nous rapprocher de ces personnes en fuite, en quête de refuge, de protection. De ces « images pauvres », il extrait et produit une matière à penser, une matière de pensées, riche d’expériences, celle d’un homme, un photographe, un artiste et écrivain aux racines méditerranéennes.

S’il maltraite l’image, c’est pour la maintenir dans un régime incertain entre document et œuvre, entre éthique et esthétique ; un régime d’ambiguïté recherché par l’auteur pour questionner non seulement le statut de l’image, mais également la situation politique et humanitaire que nous vivons. A ces images d’images, Ezra Nahmad vient parfois ajouter les siennes, celles prises sur le plateau du Golan, tout près de la frontière syrienne. Désaturées, elles évoquent la ruine et l’effacement, mais aussi la mise à distance. Elles rythment le récit et la fuite, apportent une respiration, un souffle, un mouvement, et même, tout à la fois, un temps de pause nécessaire, une réflexion autour du souvenir de tous les exodes, de tous les mouvements de population fuyant les guerres, les catastrophes ou la misère économique.
par Mireille Besnard en mars 2016