Entretien avec Jacques Graf, président de l’association Divergence Images

Bonjour Jacques, peux-tu nous en dire un peu plus sur toi et ton parcours ?
« Photographe indépendant depuis 1984, j’alterne avec bonheur les commandes de presse et institutionnelles et des travaux personnels. De 1994 à 2007, j'ai été photographe pour Madame Figaro et l'agence Editing. En 2008, j'ai rejoint FEDEPHOTO (la fédération des photographes) et en 2012 je deviens co-fondateur de Divergence Images ». Voilà pour la description que je me plais à mettre en ligne. En fait, il est difficile de bien se raconter et d’ordinaire les photographes aiment « se raconter » dans une fantasmagorie à laquelle je ne crois pas. Je préfère rester ainsi assez allusif. Et je tiens à remercier chaleureusement mon ami Cyril Entzmann à qui j’ai piqué la formule « alterne avec bonheur ».
Cela fait un peu plus 10 ans que l’association existe, comment et avec qui est née cette idée d’une « plateforme indépendante des photographes indépendants » ?
Tout à commencé avec FedePhoto qui a été créée il y a dix ans par deux photographes Vincent Leloup et Jacques Torregano. Il y a dix ans, Internet devenait suffisamment performant et les clients commençaient à acheter directement en ligne. Ils se sont dit, plutôt que de passer éternellement par des agences pour diffuser leurs photos d’archives sur internet, pourquoi ne pas développer notre propre site ?
Plateforme en ligne Divergence Images
Ils ont ainsi développé un outil et choisi de le payer en mutualisant les coûts en fonction du nombre de photographes. C’est donc une association de bénévoles qui s’est créée. Il n’y a pas de frais à part l’abonnement mensuel du coût mutualisé. Le but est que lors d'une parution le photographe touche 100%, ce qui est très différent du processus des agences qui prennent nécessairement une commission plus ou moins grosse. C’était révolutionnaire il y a dix ans et c’est cela qui a fonctionné. De nombreux photographes se sont agrégés à partir de cela.
Aujourd’hui dix ans après, nous sommes cent photographes, nous avons changé de nom mais avons gardé le même principe. L’association est toujours gérée par une bande de copains qui ont envie de s’en occuper, des gens élus par l’ensemble des membres, par l’ensemble des photographes présents sur le site et adhérents de l’association.
Pour ma part, cela fait deux ans que je suis président de l’association. J’ai pris la relève après Vincent. Cela m’intéresse d’être le représentant, mais je laisserai volontiers ma place lorsque quelqu’un se présentera. Naturellement je me suis présenté au conseil d’administration. J’ai été élu puisque je fais beaucoup de choses pour l’association. J’aime aider et je pense que c’est toujours intéressant quand on fait quelque chose d’être au cœur de ce quelque chose. Ce qui n’est pas le cas de tous les photographes. C’est une petite part qui s’investit, la majorité étant de simples consommateurs.
Vous avez commencé en très petit comité et aujourd’hui il y a donc plus de cent photographes, y aura-t-il une limite ?
Oui, il est évident qu’il y aura une limite mais je ne pense pas qu'on l'ait encore atteinte. Nous sommes cent, c'est certain qu'on ne pourra pas être deux-cent. Cela dépendra de notre capacité à gérer bénévolement le quotidien, les nombreux mails qui arrivent chaque jour, etc. Néanmoins nous ne sommes par prêts à changer le fonctionnement. Nous sommes des bénévoles, nous sommes « des saints ». Nous pourrions augmenter le nombre de photographes sur la plateforme mais il faudrait avoir quelqu’un à plein temps sur cela et nous n’en avons pas les moyens. Cela nécessiterait d’augmenter les cotisations des membres ou prendre une commission sur les ventes ce qui n’est pas le nerf de la guerre de Divergence. C’est une association, comme je le répète, à échelle humaine. Je connais tous les photographes.
Qui sont les photographes sélectionnés sur le site Divergence-Images et qui deviennent, par la même, adhérents de l’association du même nom ?
Beaucoup de photographes sont intéressés pour faire parti de Divergence puisqu’ils gagnent 100% des ventes de leurs images. Les photographes présentent un dossier.
Publication d'un portrait de Liliane Bettencourt dans L'Obs.
Par exemple, pour les images de Betancourt publiées dans L’Obs, ils ont téléchargé trois images pour n’en publier qu’une seule à moi. En tant que photographe, nous obtenons toujours un retour de la publication et l’utilisateur envoie directement le justificatif et dit « c’est tel prix ».

« On s’en sortira et on vendra plus de photos, collectivement, à travers l’outil global, et pas individuellement ».
L’enjeu est de sélectionner des photographes qui ont des clients que nous ne connaissons pas forcément. Nous leur demandons de faire connaître Divergence auprès de leur réseau. Par ricochet, cela fait profiter d’autres photographes. Ponctuellement bien sûr, on a des commandes avec des journaux en particulier, si je fais une photo pour x journal c’est parce qu’ils me connaissent moi. Mais Divergence, c’est une sorte de communauté. Enfin, c’est un peu utopiste, en fait les photographes souvent quand ils roulent c’est pour eux. Par contre, je suis certain que c’est un réseau que nous pouvons solliciter en cas de besoin. Spontanément la plupart font autre chose, ils ont d’autres problématiques, alors que nous, Vincent et moi, c’est le coeur de notre activité, de notre occupation. Pour revenir aux photographes de l’association, afin de rentabiliser les 100 euros par mois, il faut travailler.«Pour être photographe, il faut faire des photos».
Photographe est un métier de chaque instant. Il faut mettre en ligne des images, actualiser, mais également avoir un fond d’images au départ. Nous avons également fait le site Divergence Images avec des entrées portfolio, donc c’est aux photographes de jouer le jeu pour mettre en avant leurs travaux par catégorie et référencer en mot-clés leurs images. Le principe semble être celui d’une « contre agence » puisque vous ne prenez pas de commission sur les ventes, mais également une « contre banque d’images en ligne » au sens où il ne s’agit pas de mettre en avant n’importe quel photographe et de vendre à n’importe quel particulier ou annonceur, pour diffuser, tout comme pour acheter une image sur le site, il faut être professionnel. Alors qui sont les principaux « acheteurs d’images »? Sont-il les mêmes que ceux des banques d’images ? Comment définissez-vous les tarifs de vente ? Oui bien sûr, c’est la même presse. Ils ont des contrats avec les banques car c'est moins cher, mais vont chez nous aussi car ils peuvent trouver des images différentes. Et surtout ils préfèrent parfois donner les sommes engagées à tel ou tel photographe. Le photographe voit les images téléchargées, mais une image téléchargée ne veut pas dire une image publiée. Je peux avoir un reportage de téléchargé sur un sujet et finalement c’est un autre photographe qui remporte la publication dans le dit journal.
Ce sont les us et coutumes. Enfin il est possible que je reçoive un mail me demandant si nous aurions une image de telle personne par tel photographe. Quand c’est une demande de quelqu’un qui n’est pas loggé. Je renvoie alors directement au photographe qui se débrouille avec. On ne peut pas faire de tarifs généraux car ce serait un regroupement d’intérêt. Néanmoins tout le monde s’inspire des tarifs de l’UPP. Après on discute avec celui qui publie si c’est trop élevé.
La majorité des photographes présents sont des photographes de portraits ou de presse, est-ce un souhait de la part des dirigeants? Ou souhaitez-vous également accueillir des photographes pratiquant d’autres genres, photographies d’illustrations, paysage, etc ?
C’est vrai que les photographes de reportage ou de portraits sont représentés majoritairement. Ce qui nous différencie des autres structures, c’est que nous ne sommes pas réuni autour d’une proposition esthétique ou politique comme peut l’être la grande agence Vu’ ou la plus petite agence Myop. On veut être le plus ouvert possible. On sélectionne en fonction de ce que les photographes montrent, de ce qu’on sait sur eux et l’ouverture potentielle sur des marchés. Effectivement s’il montre des photos d’illustration ou animalière et qu’il a des clients dont on ne connaissait pas l’existence cela peut être intéressant, car potentiellement cela ouvre sur d’autres choses. Pour le photographe individuellement c’est toujours intéressant d’être sur "Divergence", on a une très bonne image, on est très bien diffusé. Pixpalace nous met toujours en avant, les journaux nous aiment beaucoup car on est des indépendants et ils préfèrent publier une image à nous qu’une image d’agence. On a une très bonne image, car on est des gens sympathiques.
Jean Rochefort photographié par Jacques Graf
N’est-ce pas contradictoire alors de pouvoir vendre tout à la fois une image d’art et une image à la presse? Une même image pour un usage différent et un prix différent ?
Non. Cela n’a rien à voir. Cela n’amoindrit pas la valeur de l’une, au contraire. Il peut y avoir quelque chose de flatteur pour l’acheteur à trouver également son image dans la presse. L’usage n’est pas du tout le même. Le cœur de notre action, c’est l’entraide et la recherche de solution, pour les photographes, afin de faire vivre une image une fois la commande passée.
Dans cette ouverture vers le marché de l'art, quels sont vos projets ?
Je ne fais pas de différence très marquée entre la production de photo quotidienne et l’hypothèse du marché de l’art. Les frontières sont perméables. Par exemple, j'utilise cet outil de vente global qu'est le site Divergence mais je suis aussi dans un autre groupe de photographes. Je suis très suis heureux d’avoir rejoint le groupe My darkroom.
Photographie issue de la série « Louis, qui aura 10 ans en l’an 2000 »
Celui-ci se propose de défendre la photographie argentique, les tirages numérotés tirés manuellement. C’est un groupe réuni autour de Nathalie Lopparelli, une très bonne tireuse qui a travaillé notamment pour Salgado et créé Fenêtre sur Cour, un atelier labo spécialisé dans l'argentique. Amoureux du bel ouvrage, nous créons des connections et nous tentons de toucher le monde des collectionneurs. Parmi mes projets il y a donc le développement de ce type de projet. Nous organisons notamment une expo-vente du 7 au 10 avril 2016 à L'Espace Réduit, 10 rue Jean Macé 75011 Paris.
A cela s’ajoute un bon challenge avec le Printemps photographique de Pomerol auquel je participerai les 18 et 19 mars 2016. Le principe est vraiment intéressant puisqu'il s'agit de projeter mes photos sur un très grand écran. Projection durant laquelle je les commente en direct, développant ainsi un discours, une intervention vivante auprès du public pendant 30 minutes. C'est vraiment une chance pour moi de pouvoir ainsi présenter une sélection de mon travail photographique. Et ce, en toute liberté, je remercie chaleureusement ce festival, encore jeune, mais qui gagne réellement à être mieux connu.
Chronique Coréenne, Printemps 2013
Le Trianon des Bois, domaine du Trianon, Chateau de Versailles
« Nous cherchons aujourd’hui à trouver de nouvelles solutions pour les photographes. Il est évident que cela passe par le grand public ».
Aujourd’hui, il y a de plus en plus de téléchargement, nous oscillons entre 1500 et 2500 téléchargements d’images par mois. Néanmoins nous connaissons aussi les difficultés de la presse aujourd’hui et nous ne savons pas combien de temps cela va encore durer. Nous réfléchissons par exemple à un éventuel espace de vente en ligne de tirages d’art.



par Emeline Hamon en mars 2015 et mars 2016