La pratique photographique que je construis, s’attache à des espaces architecturaux et paysagers, en tant que projections matérielles d’un monde intérieur. Ce sont des habitats spécifiques, souvent situés à la marge de la normalité, et liés à des personnes – vivantes ou disparues – et à leur histoire individuelle. Mes photographies tentent de transmettre l’univers de ces formes bâties, des manières d’habiter qu’elles reflètent, des gestes, des sensibilités qu’elles portent en elles.
Ma démarche repose sur une immersion et une réceptivité au lieu, qui constitue une expérience de l’espace dans le temps. Je tente de relever les indices de la pensée qui a façonné un milieu, les objets choisis qu’elle y a déposés, les situations singulières qu’elle a créées. Pour certains habitats, lorsqu’ils appartiennent au présent, ma représentation s’élabore dans la rencontre et l’échange avec les personnes ; pour d’autres, dans lesquels la vie est éteinte, ma rencontre a lieu par l’entremise d’une recherche documentaire sur le passé, et par l’imagination. Mes images contiennent et suggèrent ces deux mouvements : percevoir ce qui est là, présentement, et pénétrer ce qu’il y a derrière, ou ce qui s’efface.
Ces cheminements à l’intérieur des espaces et de leur signification, prennent forme ensuite dans des récits, narrés par l’agencement des photographies en séquence, accompagnés parfois d’images d’archives. Cette narration, sans mot (jusque là), se charge d’évoquer le lieu donné dans une construction où l’« entre-images » tient un rôle essentiel : la suite des images se donne dans un enchaînement qui règle un temps d’apparition déterminé, souvent ralenti. Inspirée par l’expérience du spectateur dans le cinéma ou la musique, j’imprime un rythme au déploiement des photographies. Dans l’acte de la lecture – avec le livre d’artiste –, ou dans le parcours d’une exposition, l’espace représenté est pris ainsi dans le temps.